L'âge moyen (conjoncturel) des bénéficiaires de l'APA augmente régulièrement

Le n°1212 de la collection Études et résultats de la DREES est consacré à un nouvel indicateur pour le suivi de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) : l’espérance de vie dans l’APA. Celle-ci correspond au nombre moyen d’années qu’une personne de 60 ans peut espérer vivre en tant que bénéficiaire de cette prestation, compte tenu des conditions de mortalité et des proportions de bénéficiaires du moment. Ainsi, fin 2019, l’espérance de vie dans l’APA s’élève à 2,4 années, soit 9,5 % de l’espérance de vie totale à 60 ans.

Cet indicateur s’inscrit dans la famille des indicateurs démographiques dits “conjoncturels”, particulièrement utiles pour suivre les évolutions d’une année sur l’autre de caractéristiques relatives aux parcours de vie. Les indicateurs simples, calculés en coupe pour une année donnée, ont en effet souvent pour limite d’être sensibles à des effets de composition, liés aux différences de taille entre générations. Le nombre de bénéficiaires de l’APA augmente par exemple chaque année, mais cette hausse résulte pour partie de l’effet mécanique d’avancée en âge des générations du baby/papy boom, et ne permet donc pas de tirer des enseignements sur les changements structurels. Pour cela, il est nécessaire de raisonner par cohorte, ce qui impose a priori de mesurer les indicateurs par génération. Mais ceci a alors comme inconvénient de ne pouvoir calculer ces indicateurs que très tardivement, car l’observation pour une génération donnée n’est possible que lorsque toutes les personnes qui la composent sont décédées. On ne pourrait ainsi, par exemple, connaître aujourd’hui que les caractéristiques des générations nées dans les années 1910 ou avant. Les indicateurs conjoncturels contournent cette difficulté en raisonnant sur des générations fictives qui connaitraient, pendant toute leur vie, les conditions observées une année donnée. Ils sont ainsi “fictifs”, car personne ne connaîtra pendant toute son existence de telles conditions de vie, mais ils sont particulièrement utiles car ils permettent de résumer la situation observée une année donnée d’une façon parlante et pertinente du point de vue des indicateurs démographiques.

En pratique, l’espérance de vie dans l’APA est estimée selon la méthode de Sullivan, qui repose schématiquement sur le calcul suivant. Considérons une population de 100 000 personnes en vie à un âge donné, par exemple 60 ans. En appliquant à cette population initiale la probabilité de décès à chaque âge, on obtient le nombre de personnes encore en vie à 61 ans, 62 ans, etc. En appliquant ensuite à ces nombres de survivants à chaque âge les proportions de bénéficiaires de l’APA, on connaît également le nombre de bénéficiaires à ces âges. Cela permet donc de connaître le total des années passées en tant que bénéficiaire de l’APA par les personnes de la population fictive, et donc, en le divisant par le nombre total de ces personnes, le nombre moyen d’années (ou espérance de vie) passées dans l’APA.

Au delà du seul calcul de l’espérance de vie dans l’APA, cette méthode conduit en pratique à calculer la distribution des années de vie passées en tant que bénéficiaire de la prestation, qu’il est également intéressant d’analyser en soi. Cette distribution présente un profil en cloche autour d’un âge assez élevé, situé un peu avant 90 ans. Ainsi en 2019, à 89 ans, 13,7 % des 100 000 personnes de la génération fictive sont encore en vie et bénéficient de l’APA. La forme en cloche est la résultante de deux évolutions contraires : la part de bénéficiaires de l’APA dans la population encore en vie augmente continûment (et de plus en plus fortement) avec l’âge, mais le nombre total de survivants diminue lui aussi continûment, et lui aussi de plus en plus rapidement avec l’âge. Le premier effet l’emporte avant le mode (c’est-à-dire le point le plus élevé) de la distribution, le second après. La distribution est par ailleurs asymétrique, et plus étirée vers la gauche que vers la droite : la population décroît en effet très vite aux âges où le bénéfice de l’APA devient très fréquent, tandis que certaines personnes, certes peu nombreuses, commencent à dévenir bénéficiaires dès les âges “jeunes”.

En comparant les distributions d’une année sur l’autre, on voit que la forme générale se décale progressivement vers la droite : les années de vie passées dans l’APA le sont à des âges de plus en plus élevés au fil du temps.

Nota : Le caractère très lisse des courbes du graphique ci-avant ne doit pas être surinterprété. Il est lié au fait que les prévalences de l’APA à chaque âge fin sont elles-mêmes lissées, les prévalences n’étant en réalité observées que par tranches d’âge, quinquennales avant 85 ans puis pour l’ensemble des âges à partir de 85 ans (cf. ci-après).

À partir de la répartition des années passées en tant que bénéficiaire de l’APA, il est également possible de calculer divers indicateurs d’âges, pertinents pour résumer les caractéristiques des périodes de vie passées dans l’APA. Ainsi, l’age modal conjoncturel de l’APA est l’âge auquel la plus grande partie d’une génération qui était en vie à 60 ans est encore vivante et bénéficiaire de l’APA ; comme on l’a vu, il était par exemple de 89 ans en 2019. L’âge médian conjoncturel de l’APA correspond à l’âge auquel la moitié des années de vie dans l’APA de la génération fictive ont déjà été vécues, la seconde moitié restant encore à vivre à des âges plus élevés. Enfin, l’âge moyen conjoncturel correspond à la moyenne des âges des personnes de la génération fictive pendant les années de vie où elles sont bénéficiaires de l’APA (par exemple, une génération dans laquelle toutes les personnes seraient bénéficiaires de l’APA de 90 à 94 ans, puis décèderaient toutes à 94 ans, auraient un âge conjoncturel moyen de l’APA de 92 ans).

La distribution des périodes de vie dans l’APA selon l’âge étant étirée vers la gauche, l’âge moyen est inférieur à l’âge médian, qui est lui même inférieur à l’âge modal. Ces trois âges augmentent régulièrement depuis 2002, année de création de la prestation. Ainsi, en neutralisant les effets de structures liées aux différentes tailles des générations, les bénéficiaires de l’APA sont de plus en plus âgés au fil du temps.

Ces indicateurs peuvent être calculés en appliquant la même méthode pour toutes les prestations d’aide sociale aux personnes âgées, ainsi que pour l’APA en distinguant selon le lieu de résidence (à domicile ou en établissement) et selon le GIR (par exemple GIR 1 et 2 ou GIR 3 et 4). Le graphique ci-après présente les âges moyens conjoncturels ainsi calculés (pour certaines prestations, les séries ne vont pas jusqu’à 2019 car les données par tranche d’âge ne sont pas disponibles sur le site internet de la DREES). L’âge conjoncturel moyen des bénéficiaires est plus élevé pour l’APA que pour l’aide sociale à l’hébergement (ASH), pour l’APA en établissement que pour l’APA à domicile, et pour l’APA en GIR 1 et 2 que pour l’APA en GIR 3 et 4 mais, dans presque tous les cas, il augmente régulièrement au cours de la période. Seules les aides ménagères versées par les conseils départementaux font exception : l’âge conjoncturel moyen de leurs bénéficiaires diminue régulièrement depuis le début des années 2000, et jusqu’à 2015 au moins (les données ne sont pas disponibles après cette date).

Par ailleurs, les âges conjoncturels étant estimés en combinant les informations sur la mortalité et sur les prévalences des prestations, il est aisé de décomposer les évolutions et d’apprécier l’effet de chaque composante en neutralisant les variations des autres composantes. Par exemple, si l’âge conjoncturel moyen de bénéfice de l’APA augmente de 1,9 année entre 2002 et 2019, passant de 84,5 ans à 86,4 ans, l’augmentation liée à la seule baisse des prévalences de l’APA n’est que de 0,5 an. L’âge conjoncturel moyen serait en effet de 85 ans seulement en 2019 si la mortalité était restée constante et égale à son niveau de 2002.

Les indicateurs présentés ci-avant sont calculés à partir des prévalences de l’APA à chaque âge fin, c’est-à-dire d’une information sur le stock de bénéficiaires de l’APA. Si une information supplémentaire sur les flux était disponible (soit les nombres ou les parts d’entrée dans l’APA à chaque âge, soit les décès de bénéficiaires de la prestation par âge), d’autres indicateurs conjoncturels intéressants pourraient être calculés, par exemple des âges conjoncturels (moyen, médian ou modal) d’entrée dans l’APA, ou encore les durées moyennes de perception de l’APA ou la proportion d’une génération bénéficiant de l’APA avant son décès. De telles informations sur les flux d’entrée ou de sortie de l’APA par âge fin n’ont toutefois encore jamais été publiées, et les données de base permettant de calculer ces indicateurs restent donc encore à produire à partir des sources statistiques.

Si les indicateurs conjoncturels sur l’APA (ou sur les autres prestations d’aide sociale aux personnes âgées) sont utiles et parlant, il convient bien sûr de ne pas non plus les surinterpréter. Au delà de leur caractère fictif (aucune génération ne vit pendant toute sa période de vieillesse avec les conditions d’une année donnée), de nombreuses hypothèses sont réalisées afin de permettre le calcul des indicateurs. Rappelons-les ici brièvement. Premièrement, les prévalences de l’APA ne sont pas observées par âge fin dans les données de l’enquête Aide sociale de la DREES, mobilisées ici ; elles ne sont disponibles que par tranches d’âge (quinquennales entre 60 et 85 ans puis regroupées pour l’ensemble des âges supérieurs à 85 ans) puis lissées en minimisant la somme des carrés des différences secondes, sous contrainte que la moyenne par tranche d’âge soit bien égale à la valeur observée (les prévalences sont en outre supposées constantes après 99 ans). Notons que, si on lisse les prévalences par âge fin à partir des données ventilées par tranches d’âge quinquennal jusqu’à 95 ans (disponibles depuis 2016 seulement), les âges conjoncturels sont légèrement différents. Deuxièmement, certains départements ne fournissent pas l’information sur la ventilation par âge des bénéficiaires dans l’enquête Aide sociale. En outre, pour l’APA en établissement, la plupart des départements ne fournissent une information que pour les bénéficiaires qui ne résident pas dans un établissement sous dotation globale. On fait donc l’hypothèse que ces bénéficiaires sont représentatifs de l’ensemble des bénéficiaires de l’APA en établissement. Troisièmement, les quotients de mortalité ne sont diffusés par l’Insee que jusque 99 ans avant 2010 : ils ont donc ici été simplement extrapolés linéairement après cet âge (ils sont diffusés jusqu’à 104 ans à partir de 2010). Les prévalences de l’APA sont également supposées constantes à partir de 99 ans. Rappelons par ailleurs la limite fondamentale liée au fait de retenir une mesure administrative : les évolutions observées traduisent celles des besoins d’aide à l’autonomie des personnes, mais elles peuvent aussi dépendre de changements dans les modalités de gestion des départements ou dans les comportements de recours à l’APA par les personnes âgées.

Les graphiques présentés dans ce post ont été construits grâce au package R healthexpectancies, à partir des données diffusées par la DREES sur data.drees pour ce qui concerne les prévalences de l’APA (et des autres prestations d’aide sociale) et des données diffusées par l’Insee dans le cadre des bilans démographiques.

Patrick Aubert
Patrick Aubert
Statisticien et économiste

Statisticien et économiste, spécialisé dans les thématiques des retraites, du handicap et de l’autonomie, et de la protection sociale en général.

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