Vieillissement de la population : jusqu'à quand est-ce une affaire de baby-boomers ?

L’importance de l’avancée en âge des générations du baby-boom (maintenant qualifiées également de générations du papy-boom) parmi les facteurs explicatifs du vieillissement de la population en France est bien connnue. Comme l’explique l’étude de référence de Didier Blanchet et Françoise Le Gallo, le baby-boom a pour effet de concentrer le vieillissement sur des périodes relativement courtes, par rapport au rythme de vieillissement beaucoup plus progressif qui résulterait des seuls gains d’espérance de vie aux grands âges. L’impact du baby-boom sur la part des seniors dans la population est en effet « en V » : les baby-boomers ont d’abord retardé le vieillissement en venant gonfler les tranches d’âge actives, mais leur arrivée progressive aux tranches d’âge élevées le font ensuite réaccélérer de 2006 à 2035.

Ce résultat conduit parfois à penser que l’essentiel de l’impact du baby-boom sur les dépenses sociales liées au vieillissement, notamment les dépenses d’accompagnement de la perte d’autonomie, auront lieu au milieu des années 2030. Cette idée est cependant trompeuse : si les premières générations du baby-boom atteignent certes les tranches d’âges de 80 ans et plus vers 2035, leurs effectifs nettement plus importants que ceux des générations antérieures font qu’elles jouent déjà avant cette date. Surtout, le poids des générations du baby-boom sur les dépenses sociales liées au vieillissement se perpétue bien après les années 2030, et reste significatif pendant encore plusieurs décennies.

Sans aller jusqu’à une analyse complète des effets du baby-boom sur la dynamique des dispositifs publics dédiés aux seniors, cet article vise à donner quelques ordres de grandeur sur les périodes pendant lesquelles ces dispositifs seront, pour l’essentiel, une affaire de baby-boomers. On s’appuie pour cela sur les dernières projections démographiques de l’Insee, qui vont jusqu’à l’horizon de 2070, ainsi que sur les prévalences des divers dispositifs sociaux à chaque âge, fournies par la DREES. Les générations du baby-boom correspondent ici à celles nées entre 1946 et 1973 (incluses).

Commençons par les retraités. Les baby-boomers représentent aujourd’hui (c’est-à-dire en 2022) environ les deux tiers des retraités résidant en France. Ils en représentaient déjà au moins un quart à partir de 2010 et étaient majoritaires parmi les retraités dès 2017. Ils le resteront jusqu’en 2049, et représenteront encore au moins un retraité sur 4 jusqu’en 2057.

Ces indications de date sont des ordres de grandeurs, car elles sont calculées ici sous l’hypothèse simplificatrice que les proportions de retraités à chaque âge restent égales à leur dernière valeur connue (donc sans tenir compte de la hausse projetée de l’âge effectif moyen de départ à la retraite après 2020), mais une projection plus précise des âges de départ à la retraite ne les modifierait qu’à la marge. De même, les dates estimées pourraient être légèrement différentes sous d’autres hypothèses que celles du scénario central des dernières projections démographiques de l’Insee, utilisées ici.

Les situations de dépendance interviennent à des âges plus élevés, et on s’attend donc à ce que les baby-boomers représentent la majeure partie des bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) plus tardivement. Ils représentent cependant déjà 17,1 % de ces bénéficiaires fin 2021, soit environ 1 sur 6. Sous l’hypothèse que les prévalences de l’APA à chaque âge resteront égales à leur dernière valeur observée, cette proportion dépasserait 25 % à partir de 2026 et 50 % à partir de 2032. En 2046, 92,5 % des bénéficiaires de l’APA seront des baby-boomers ; ils seront alors 2,1 millions à bénéficier de cette prestation (ou 1,8 million sous des hypothèses plus optimistes d’évolution des incapacités à l’avenir - voir ci-après), soit bien davantage que les 1,3 million de bénéficiaires observés fin 2020. Les baby-boomers resteraient majoritaires parmi les bénéficiaires de l’APA jusqu’en 2062, et ils en représenteraient encore 17,6 % au début de l’année 2070, soit presque 1 bénéficiaire sur 6.

Comme pour les retraites, ces indications de dates sont approximatives, car elles dépendent des évolutions des prévalences de l’APA (c’est-à-dire des proportions de bénéficiaires de cette prestation dans chaque tranche d’âge) à l’avenir. Une hypothèse plus optimiste que celle utilisée ici (qui conjecture que les prévalences resteront identiques à leur dernière valeur observée à chaque âge) peut consister à supposer que tous les gains d’espérance de vie à venir se feront sans dépendance, et que l’espérance de vie dans l’APA restera donc constante et égale à sa valeur observée aujourd’hui. Sous cette hypothèse plus optimiste, les baby-boomers représenteraient la majorité des bénéficiaires de l’APA entre 2032 et 2064, au lieu de 2032 et 2062. L’hypothèse d’évolution de la perte d’autonomie ne joue donc qu’à la marge.

En établissement, les baby-boomers représenteraient la majorité des bénéficiaires de l’APA de 2034 à 2064. En 2052, entre 740 000 et 950 000 baby boomers, selon l’hypothèse d’évolution des prévalences de l’APA, percevraient cette prestation en établissement, et résideraient donc en EHPAD ou assimilés (sous l’hypothèse d’un maintien du partage actuel des lieux de résidence entre domicile et établissement). A moins d’un virage domiciliaire marqué, les années 2050 pourraient ainsi s’ouvrir avec près d’un million de baby-boomers en EHPAD !

Patrick Aubert
Patrick Aubert
Statisticien et économiste

Statisticien et économiste, spécialisé dans les thématiques des retraites, du handicap et de l’autonomie, et de la protection sociale en général.

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