L'augmentation de l'âge minimal de départ à la retraite va-t-elle maintenir une partie des assurés dans les minima sociaux ?

Lors des débats de la réforme des retraites de 2023, l’une des craintes était que le relèvement de l’âge minimal d’ouverture des droits de 62 à 64 ans maintienne certains assurés pendant deux années supplémentaires dans une situation de pauvreté, avec les minima sociaux comme seuls revenus disponibles. S’il y a peu de doute sur le fait que cela soit effectivement le cas pour une partie des personnes les plus précaires, l’ampleur du phénomène est plus incertaine, car elle dépend de nombreux facteurs : combien de personnes sont bénéficiaires de minima sociaux juste avant l’âge minimal de départ à la retraite ? combien en sortent à l’occasion de ce départ ? et si c’est le cas, cette sortie a-t-elle vraiment lieu à l’âge minimal, ou plus tard ?

On ne dispose pas encore des données les plus récentes pour établir un premier bilan sur les effets de la réforme de 2023, mais une nouvelle base statistique mise en place par l’Institut des politiques publiques (IPP) en partenariat avec la DREES apporte un premier éclairage sur ces questions, en permettant d’analyser les trajectoires des bénéficiaires de minima sociaux aux abords des âges de départ à la retraite sur le passé récent, et notamment au cours des années qui ont suivi le premier relèvement de l’âge minimal de départ (de 60 à 62 ans dans le cadre de la réformes des retraites de 2010). Ces éléments ont été publiés hier dans la collection des Études et résultats de la DREES.

Deux premiers enseignements peuvent être mis en avant. Premièrement, le départ à la retraite semble bien permettre à certains bénéficiaires de sortir des minima sociaux, puisque la proportion de ces bénéficiaires dans la population diminue nettement aux alentours des âges de départ. Elle est d’environ 11 % en 2020 à 61 ans, soit juste avant l’âge minimal légal à cette date, tandis qu’elle est divisée par deux à 70 ans (5,5 %). Cette baisse n’a toutefois pas lieu en une fois, à l’âge légal de 62 ans, mais est étalée entre cet âge et l’âge légal d’annulation de la décote (67 ans).

Deuxièmement, le départ à la retraite ne permet pas, pour autant, à tous les bénéficiaires de sortir des minima sociaux. Parmi ceux qui le sont à 59 ans, un sur trois l’est encore à 70 ans (le minimum perçu est alors généralement le minimum vieillesse). La proportion est même supérieure à 50 % parmi les anciens bénéficiaires du RSA ou de l’AAH1 (c’est-à-dire ceux dont le taux d’incapacité est le plus élevé).

Qu’en est-il de l’effet spécifique du relèvement de l’âge minimal après la réforme de 2010 ? Pour les bénéficiaires d’un minimum social à 59 ans, 90 % le sont toujours à 60 ans parmi les personnes nées en 1951, première génération touchée par la réforme. Cette proportion n’est cependant pas intégralement imputable à l’augmentation de l’âge minimal légal. Une partie des personnes l’auraient en effet également été en l’absence de réforme : pour la génération 1950 (dernière à avoir bénéficié d’un âge minimal de 60 ans), près de la moitié des bénéficiaires de minima sociaux à 59 ans le sont encore à 60 ans (pour une partie de façon cumulée avec une petite retraite). Les personnes qui ne bénéficiaient pas d’un minimum social à 59 ans sont quant à elle assez peu concernées : 1,5 % environ deviennent bénéficiaires à 60 ans pour la génération 1951 et les suivantes, contre 1 % pour la génération 1950 et les précédentes.

La réforme de 2023 est différente de celle de 2010, car elle ne relève pas l’âge minimal pour tous : les assurés reconnus inaptes au travail (ce qui est le cas pour tous les bénéficiaires de l’AAH et une partie des bénéficiaires du RSA et de l’ASS) en sont exemptés, et continuent donc de pouvoir liquider leur retraite à taux plein à 62 ans. D’après les données observées en 2020, environ 33 % des bénéficiaires de minima sociaux à 61 ans en sortent au cours de l’année de leurs 62 ans, et, parmi ceux-ci, 57 % le font en bénéficiant d’une retraite pour inaptitude. En extrapolant ces résultats, les assurés qui seraient maintenus dans les minima sociaux à 62 ans du fait de la réforme de 2023 représenteraient donc environ 14 % des personnes bénéficiaires juste avant l’âge légal, soit de l’ordre de 1,5 % de la population.

Patrick Aubert
Patrick Aubert
Statisticien et économiste

Statisticien et économiste, spécialisé dans les thématiques des retraites, du handicap et de l’autonomie, et de la protection sociale en général.