L'espérance de vie sans incapacité à 64 ans : de nouvelles données disponibles

L’âge de 64 ans a pris une signification particulière depuis quelques semaines, du fait du projet de réforme des retraites en débat actuellement, qui en fait le nouvel âge légal d’ouverture des droits. Le bilan démographique 2022 que l’Insee a publié début janvier nous apprend que l’espérance de vie à cet âge est, compte tenu des conditions de mortalité observées au cours de l’année 2022, de 23,96 années pour les femmes et de 19,97 années pour les hommes.

Mais dans quel état de santé ces années sont-elles vécues ? La DREES vient de publier en open data des données nouvelles sur les prévalences des diverses incapacités selon l’âge, qui apportent une réponse actualisée à cette question grâce aux premiers résultats de l’enquête « Vie quotidienne et santé » menée en 2021. Cette enquête constitue le premier volet du dispositif d’enquêtes décennales sur le handicap et l’autonomie (dispositif d’enquêtes « Autonomie »), dont la réalisation doit s’étaler jusqu’à 2024, et qui prend le relais de l’enquête CARE menée entre 2014 et 2016.

Comme on l’avait déjà expliqué dans un billet de blog récent, une erreur d’interprétation fréquente consiste à penser que, vu que l’espérance de vie sans incapacité en France (65,9 ans pour les femmes et à 64,4 ans pour les hommes en 2020) a une valeur proche des âges moyens de départ à la retraite, l’essentiel de la période de retraite est vécue avec des incapacités. Cette lecture est erronée car l’espérance de vie (avec ou sans incapacité) à la naissance dépend en partie de ce qui se passe avant les âges de la retraite ; c’est donc à partir de ces âges qu’il faut calculer l’indicateur, d’où l’intérêt - dans le débat actuel - de pouvoir estimer l’espérance de vie sans incapacité à 64 ans.

Selon les conditions de mortalité et d’incapacité observées en 2021, une personne de 64 ans « moyenne » peut espérer vivre 12,7 années sans limitation durable (c’est-à-dire d’au moins 6 mois) dans les activités que les gens font habituellement, 6,2 années avec des limitations modérées et 3,1 années avec de fortes limitations. Si cette espérance de vie sans incapacité fait déjà l’objet d’un suivi statistique annuel1, l’avantage de l’enquête Vie quotidienne et santé est de permettre de préciser ces durées selon la nature des limitations.

Ainsi, à 64 ans en 2021, une personne peut espérer vivre 17,1 années sans limitation physique sévère, 19,1 années sans limitation sensorielle sévère ou encore 20,3 années sans limitation cognitive sévère. Elle ne peut en revanche espérer vivre que 12,4 années en pouvant marcher 500 mètres ou monter des marches d’escalier sans aucune difficulté, et 13,9 années sans aucune difficulté pour entendre. En moyenne, l’espérance de vie sans recours à une aide d’une tierce personne (qu’elle soit professionnelle ou de l’entourage) est de 16,1 années, tandis que 5,9 années en moyenne sont vécues avec une telle aide.

Ces espérances de vie sont des moyennes pour l’ensemble de la population2. En outre, les départs à la retraite n’ont pas tous lieu au même âge, et l’âge de 64 ans ne constituera donc pas pour tout le monde l’âge de départ après la réforme. Les espérances de vie sans incapacité à 64 ans ne sont donc pas des espérances de durée de retraite sans incapacité, et ce d’autant plus que l’âge de départ à la retraite est corrélé avec le niveau d’incapacité. Les personnes invalides ou reconnues inaptes au travail, qui constituent une grande partie des personnes déjà en incapacité en début de leur période de retraite, pourront par exemple, dans le cadre du projet de réforme, continuer à partir à la retraite à 62 ans ; les assurés qui partiront à la retraite à 64 ans auront donc par nature une probabilité plus faible d’être en incapacité à cet âge, et auront donc pour cette raison une espérance de vie sans incapacité (EVSI) à cet âge vraisemblablement plus élevée.

On aimerait donc pouvoir décliner les EVSI présentées dans le graphique ci-avant selon les caractéristiques des personnes : niveau d’incapacité en début de retraite, mais aussi caractéristiques socioéconomiques telles que le niveau de diplôme, la catégorie socioprofesionnelle ou encore la position dans l’échelle des revenus. Ce n’est malheureusement pas (encore) possible : l’enquête Vie quotidienne et santé de la DREES est une enquête de très grande taille, mais avec un questionnaire court, centré sur les incapacités. Il faudra donc patienter un peu, et attendre les prochains volets du dispositif d’enquêtes Autonomie, ou bien les enrichissements de l’enquête Vie quotidienne et santé par des croisements avec d’autres sources de données, pour pouvoir décliner les espérances de vie sans incapacité selon des caractéristiques plus fines des personnes, et pour pouvoir calculer de véritables durées espérées de retraite sans incapacité.

Références bibliographiques et sources des données

Télécharger les graphiques et leurs données

Pour citer les données : « Sources : bilan démographique (Insee) et enquête Vie quotidienne et santé (DREES). Calculs : P. Aubert (IPP). »

Nota : Les tables et graphiques ont été mis à jour le 11 février 2023, suite à la publication par la DREES d’une version corrigée des résultats de l’enquête Vie quotidienne et santé.


  1. Grâce l’enquête SRCV de l’Insee, menée chaque année et qui intègre dans son questionnaire une interrogation sur les limitations dans les activités que les gens font habituellement.↩︎

  2. Pour les estimer, on a d’abord lissé les prévalences des incapacités (c’est-à-dire les proportions de personnes en incapacité à chaque âge) à partir des valeurs fournies en moyenne par tranches d’âge quinquennales par la DREES. Le champ de l’enquête VQS est la population vivant en ménages ordinaires ; on a donc extrapolé les prévalences des incapacités sur ce champ à l’ensemble de la population, y compris les personnes résidant en établissement. Les espérances de vie sans incapacité sont ensuite calculées de façon classique par la méthode de Sullivan.↩︎

Patrick Aubert
Patrick Aubert
Statisticien et économiste

Statisticien et économiste, spécialisé dans les thématiques des retraites, du handicap et de l’autonomie, et de la protection sociale en général.

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