Durée de retraite / durée de carrière : où en est-on ?
Résumé : La réforme de 2003 a mis en avant le rapport entre la durée de retraite et la durée de carrière comme indicateur de référence pour juger de l’équité entre les générations en matière d’âge de départ à la retraite. Cet indicateur a augmenté entre 2004 et 2010, du fait notamment du développement des départs anticipés, puis a diminué, sous l’effet du relèvement à 62 ans de l’âge minimal de départ. Le diagnostic global dépend toutefois de ce qu’on considère comme « durée de carrière » : entre 2004 et aujourd’hui, la durée de retraite rapportée à la durée d’activité effective a nettement diminué, mais son niveau est à peu près le même rapportée à la durée passée en moyenne entre la fin des études et le départ à la retraite.
Le rapport entre la durée de retraite et la durée de carrière constitue, depuis la réforme de 2003 au moins, un indicateur de référence en France pour juger de l’équité entre les générations en matière de retraite. Alors qu’un nouveau débat se prépare en vue de la réforme annoncée cet automne, il est utile de dresser un bilan des évolutions depuis 2003 : l’équité, au sens de l’indicateur mis en avant par le législateur cette année-là, a-t-elle été garantie ou non ?
L’indicateur a été introduit dans le débat sous le raisonnement suivant : dès lors qu’un relèvement de l’âge de départ à la retraite avait été jugé nécessaire pour assurer la pérennité financière du système (cf. l’exposé des motifs du projet de loi portant réforme des retraites de 2003 : « L’arrivée à l’âge de la retraite des générations nombreuses nées après guerre et l’allongement de l’espérance de vie après 60 ans vont avoir pour conséquence, dès 2005, d’augmenter considérablement le nombre de personnes retraitées. [… C]ette évolution démographique remet en cause, de manière directe, l’équilibre de notre système de retraite.[…] La meilleure garantie, et la plus juste, pour assurer un haut niveau de retraite, sans faire reporter sur les actifs de demain une charge démesurée, est l’allongement de la durée d’assurance et de la durée d’activité. »), il importait de trouver un critère qui assure que ce relèvement soit mené d’une façon qui reste équitable entre les générations. Le critère retenu a consisté à considérer que les gains d’espérance de vie dont bénéficient les générations les plus récentes devaient être partagés entre allongement de leur durée de retraite et augmentation de leur durée de carrière, au prorata du partage entre ces deux durées constaté pour les générations plus anciennes (« stabiliser à l’horizon 2020 le rapport entre le temps de travail et le temps de retraite afin d’assurer la pérennité des régimes par répartition et l’équité entre générations », d’après l’exposé des motifs de l’article 5 du projet de loi).
Comme souvent en matière d’indicateur de retraite, la façon la plus pertinente de calculer le rapport entre durée de retraite et durée de carrière est de l’estimer en moyenne par génération. Ces deux durées n’ont en effet de sens qu’en tant que composantes du parcours de vie des personnes, ce qui justifie de les calculer en suivant des cohortes d’individus. Les paramètres légaux qui déterminent en grande partie les comportements de départ à la retraite (âge légal d’ouverture des droits, durée d’assurance requise pour le taux plein, etc.) sont en outre définis en fonction de l’année de naissance des individus, ce qui renforce la pertinence d’un calcul par génération. Un tel calcul est réalisé et détaillé par exemple dans un article publié en 2014 dans la revue Économie et statistique coécrit avec Simon Rabaté, à partir du modèle DESTINIE de l’Insee, et repris annuellement dans les rapports annuels du COR.
Pour rappel, voici par exemple les principales conclusions tirées des simulations du modèle DESTINIE en 2014 :
« Les réformes de 2003, 2010 et 2014 ont un effet important en projection sur les âges de départ à la retraite des générations 1943‑1990. Sans ces réformes, un peu plus des trois quarts des gains d’espérance de vie sur toute la période se seraient traduits en gains de durée de retraite. Avec l’effet cumulé de ces réformes, la hausse de la durée de retraite représente à peu près un tiers de la hausse projetée de l’espérance de vie entre les générations 1943 et 1990.
Cette proportion est conforme à la cible formulée en 2003 mais elle tient aux effets combinés de l’allongement de la durée requise et du report des âges légaux – l’allongement seul aurait conduit à une hausse de la durée de retraite plus élevée, représentant plus de la moitié des gains d’espérance de vie.
Si l’allongement de la durée d’activité induit par les réformes de 2003, 2010 et 2014 ne garantit pas une égalisation stricte du rapport entre durée d’activité et durée de retraite, il en assure au moins une relative stabilité entre les générations nées entre 1943 et 1990, au sens où ce rapport de durée reste dans une fourchette de plus ou moins 5 % par rapport à la moyenne pour l’ensemble des générations. À l’intérieur de cette fourchette, certaines générations peuvent cependant paraître favorisées ou défavorisées, les conclusions pouvant, en outre, varier selon le sens assigné à la notion de carrière. »
Le calcul par génération présente toutefois l’inconvénient habituel que l’indicateur ne peut être réellement observé que lorsque les générations sont entièrement parties à la retraite, c’est-à-dire de façon tardive. Il nécessite sinon d’utiliser des modèles de microsimulation, dont la manipulation est complexe, et qui restent des simulations soumises à des hypothèses de projection.
L’objet de cet article est donc de proposer des indicateurs de suivi plus simples à calculer, reposant uniquement sur des données observées, et dont l’actualisation chaque année est possible à partir d’informations toutes disponibles en open data. Comme souvent lorsqu’on cherche à contourner la difficulté d’estimation des indicateurs par génération, on utilise ici les indicateurs dits « conjoncturels » (voir par exemple cet autre article pour une présentation de la philosophie de ces indicateurs), qui consistent à raisonner, pour illustrer la situation observée une année donnée, sur une génération fictive qui connaîtrait à chaque âge les conditions (d’emploi, de retraite, de mortalité, …) observées à cet âge au cours de l’année considérée. On utilisera ici les données de la DREES pour les conditions de retraite à chaque âge, et celles de l’Insee pour les coefficients de mortalité et les conditions d’activité (voir les précisions méthodologiques à la fin de l’article).
Les résultats sont présentés dans le graphique suivant, en évolution entre 2004 et 2020. Deux indicateurs sont présentés, rapportant la durée espérée de retraite (en d’autres termes l’espérance de vie passée à la retraite) soit à la durée espérée en emploi, soit à la durée espérée en activité au sens du bureau international du travail (BIT). Le second indicateur est moins bruité et de niveau plus bas que le premier, car la durée d’activité est mécaniquement plus longue que la durée d’emploi (elle ajoute à cette dernière la durée des périodes de chômage), et moins sensible aux flucturations conjoncturelles.
Les deux indicateurs évoluent de façon similaire : ils augmentent entre 2004 et 2010, puis diminuent régulièrement depuis, sous l’effet de la hausse de l’âge effectif moyen de départ consécutif à la réforme des retraites de 2010. Cette baisse est surtout marquée entre 2010 et 2016, alors qu’elle s’infléchit après. L’âge effectif moyen de départ à la retraite augmente en effet moins fortement après 2016, car le relèvement de l’âge légal d’ouverture des droits (de 60 à 62 ans) prévu par la réforme des retraites de 2010 a fini de porter ses effets, tandis que le relèvement de l’âge d’annulation de la décote (de 65 à 67 ans), qui commence a jouer à partir de cette date, a un impact moindre. L’inflexion en 2016 se constate surtout pour le rapport entre la durée de retraite et la durée d’activité ; pour le rapport à la durée d’emploi, elle est contrebalancée par la baisse du chômage à partir de 2015. La valeur en 2020 est enfin atypique, en raison de la crise sanitaire. La durée espérée de retraite chute en effet sensiblement du fait de la mortalité plus élevée des personnes âgées au covid.
La baisse du rapport entre durée de retraite et durée de carrière observée à partir de 2010 apparait ainsi d’ampleur nettement plus marquée que la hausse observée avant cette date, et le niveau actuel du ratio est donc sensiblement en dessous de son niveau en 2004 (soit juste après la réforme de 2003).
Cette évolution ne tient toutefois pas uniquement à la hausse de l’âge effectif de départ à la retraite et à l’allongement des fins de carrières liés aux réformes. Elle s’explique aussi, pour partie, par l’augmentation des durées passées en activité à tous les âges, imputable notamment à l’accroissement tendanciel de la participation des femmes au marché du travail. On touche ici à une limite assez forte de l’indicateur mis en avant lors de la réforme de 2003 : si cet indicateur est formulé de façon générale en termes de « rapport entre le temps de travail et le temps de retraite », la loi raisonne en réalité clairement sous l’hypothèse de personnes travaillant une carrière complète puisque, concrètement, elle précise que le « rapport est défini comme le rapport entre la durée d’assurance et la durée moyenne de retraite » et que la « durée d’assurance est la durée nécessaire pour obtenir, une année donnée, une pension au taux plein (40 ans en 2008) ».
Cette restriction se comprend aisément : autant il est facile d’interpréter les écarts entre les générations en termes d’équité lorsqu’on raisonne sur des personnes à carrière complète (la situation d’une génération est plus favorable lorsque le rapport est plus élevé, et inversement), autant l’interprétation est plus discutable lorsqu’on tient compte des carrières incomplètes. En effet, une génération qui a connu une participation plus élevée au marché du travail et une moindre proportion d’assurés à carrière incomplète aura mécaniquement un ratio entre la durée de retraite et la durée de carrière plus bas, mais cela ne signifie pas pour autant que sa situation en matière de retraite doit être jugée comme moins favorable : la durée de travail plus élevée liée à la proportion plus grande de carrières complètes aura pour contrepartie mécanique des pensions plus élevées, les pensions étant, dans les régimes de retraite de base, calculées au prorata de la durée de carrière lorsque celle-ci est incomplète (c’est-à-dire inférieure à la durée requise définie légalement).
Pour contourner cette difficulté, l’indicateur pourrait être calculé en restreignant le champ aux seuls assurés à carrière complète, mais cela pose d’autres problèmes, car cette restriction introduit des effets de composition liés à la part variable des assurés à carrière complète au fil des générations et car elle ne tient pas compte de la durée moyenne des carrières des assurés à carrière incomplète. Un indicateur plus robuste est proposé dans le Dossier de la DREES n°21 d’octobre 2017, consistant à calculer un rapport entre durées de retraite et de carrière « corrigé des carrières incomplètes ». Cet indicateur plus complexe nécessite cependant de disposer de données individuelles riches pour être calculé, et ne peut donc pas être reproduit ici à partir des seules informations diffusées en open data.
Une autre façon habituelle de contourner la difficulté consiste à « mesurer » la durée de carrière comme l’écart entre l’âge moyen de fin d’étude et l’âge moyen de départ à la retraite. Cette approche s’inscrit dans une vision du cycle de vie comme succession de trois grandes composantes : une période d’éducation au début, une période de retraite à la fin, et une période intermédiaire consacrée au travail. Pour l’estimation de l’âge de fin d’étude, on utilise ici les taux de scolarisation par âge fin diffusés par la DEPP, en ne tenant compte des taux qu’à partir de l’âge de 15 ans pour ne capter que les effets de fin d’études, et pas les effets liés, par exemple, aux évolutions de la scolarisation avant 3 ans (cf. précisions méthodologiques).
Une autre approche, finalement tout aussi pertinente au regard de la loi de 2003, consiste à s’intéresser non pas au rapport entre la durée de retraite et la durée de carrière, mais à la part de la retraite dans l’espérance de vie au moment du début de carrière (ou de la fin des études). En effet, comme le rappelle le secrétariat général du COR dans une note de mars 2014, « si l’exposé des motifs de 2003 désignait clairement le rapport entre durée de carrière et durée de retraite comme indicateur à l’aune duquel juger du caractère équitable de la durée de retraite, la règle de 2003 peut tout aussi bien être vue comme une manière de lier gains d’espérance de vie et gains de durée de retraite [Cela résulte du fait que la règle de 2003 suppose implicitement que toutes les générations commencent à travailler au même âge de 20 ans et ne prend donc pas en compte, par convention, les évolutions de l’âge d’entrée dans la vie active au fil des générations]. C’est d’ailleurs en ces termes qu’elle a souvent été popularisée, comme une règle de partage des gains d’espérance de vie à 60 ans selon une règle deux tiers–un tiers. Selon ce point de vue, la règle pourrait ainsi, à plus juste titre, être interprétée comme la traduction d’un objectif de stabilisation de la durée de retraite relative à l’espérance de vie. »
La part de la retraite dans l’espérance de vie au début de la carrière est représentée dans le graphique ci-après, avec deux définitions pour le début de la carrière : soit l’âge de 20 ans retenu par convention pour toutes les années (dans l’esprit de la règle définie en 2003), soit l’âge moyen de fin d’étude (calculé à partir des taux de scolarisation par âge après 15 ans).
En résumé, l’évolution globale reste la même quel que soit l’indicateur retenu : une hausse avant 2010, suivi d’une diminution nette à partir de cette date, avec une inflexion, plus ou moins marquée selon l’indicateur, à partir de 2016.
Le diagnostic diffère en revanche pour ce qui concerne le niveau de l’indicateur, en comparaison avec la référence de 2004. Alors que le niveau en 2019 est bien en dessous de celui de 2004 pour le rapport entre la durée de retraite et la durée d’activité ou d’emploi, ces deux niveaux sont quasi-identiques pour la part de la durée de retraite dans l’espérance de vie en début de carrière (on retient ici 2019 et non 2020, pour laisser de côté la mortalité atypique liée au covid). L’écart entre ces deux diagnostics, et donc le fait qu’on retienne en conclusion que l’équité entre les générations au regard de la durée de retraite est globalement maintenue depuis 2004, ou à l’inverse qu’il y a eu une dégradation notable au cours de la dernière décennie, tient donc au fait qu’on prenne en compte ou non la hausse de la participation au marché du travail aux âges dits d’activité.
On n’a jusqu’ici présenté les indicateurs qu’en moyenne pour l’ensemble des assurés. Le graphique suivant distingue selon le sexe, pour les indicateurs qui peuvent être calculés (les taux de scolarités à chaque âge calculés par la DEPP ne sont pas diffusés par sexe, donc les indicateurs relatifs à l’âge de fin de scolarité ne peuvent pas être ventilés).
Une question récurrente lorsqu’on ventile par sexe les indicateurs d’équité en matière de retraite est celle de la mortalité à prendre en compte. L’Insee diffuse des coefficients de mortalité pour les femmes et pour les hommes séparément, et il est donc habituel de tenir compte de la mortalité spécifique à chaque sexe pour les indicateurs d’espérance de vie. Mais le système de retraite français a pour fondement de mutualiser entièrement le risque viager, c’est-à-dire de ne pas discriminer selon que le risque peut être plus fort pour certains que pour d’autres, et l’équité devrait donc, en cohérence, être jugée en considérant un risque de mortalité moyen, commun à tous les assurés (en d’autres termes, l’espérance de vie plus élevée des femmes ne doit pas être considérée comme un « avantage » inéquitable en matière de retraite : voir par exemple la discussion en encadré 2 page 96 du Dossier de la DREES n°21). Dans le graphique ci-après, les indicateurs ont été calculés selon les deux hypothèses, avec des coefficients de mortalité distingués par sexe ou non, en ajoutant une hypothèse intermédiaire consistant à retenir les coefficients de mortalité par sexe avant 60 ans et unisexes ensuite (en considérant que la mutualisation du risque viager ne concerne que la période de retraite, donc par approximation la période après 60 ans, et pas la période d’activité).
En pratique, le rapport entre la durée espérée de retraite et la durée de carrière apparaît toujours plus élevé pour les femmes, même en considérant une mortalité moyenne unisexe, du fait de leur taux d’activité (au sens du BIT) plus faible à quasiment tous les âges. La part de la retraite dans l’espérance de vie à 20 ans apparaît en revanche plus élevée pour les hommes avec une mortalité unisexe, du fait de leur âge moyen de départ à la retraite encore un peu plus bas.
En termes d’évolution, le profil global est relativement semblable pour tous les indicateurs (hausse ou stabilité avant 2010, baisse sensible ensuite), mais l’ampleur de ces variations diffère. Le diagnostic sur l’évolution des inégalités entre les femmes et les hommes s’inverse en outre selon l’indicateur considéré. Le rapport entre la durée de retraite et la durée d’activité en 2019 ne diminue que légèrement par rapport à 2004 pour les hommes, mais baisse sensiblement pour les femmes : ce sont en effet principalement ces dernières qui sont concernées par la hausse tendancielle des taux d’activité à tous les âges de la vie. C’est en revanche le contraire pour l’évolution de la part de la retraite dans l’espérance de vie à 20 ans (en mortalité unisexe), qui est relativement stable entre 2004 et 2019 pour les femmes, alors qu’elle diminue pour les hommes : cela s’explique notamment par la hausse plus forte de l’âge moyen de départ à la retraite pour les hommes (+1,9 ans) que pour les femmes (+1,3 ans). Encore une fois, le diagnostic doit être porté avec prudence, car il impose de définir précisément, au préalable, ce qu’on considère pertinent comme durée de carrière : la durée effectivement passée sur le marché du travail, ou l’ensemble de la durée entre la fin des études et le départ à la retraite ?
La graphique suivant présente l’évolution depuis 2004 de chacune des durées permettant de calculer les ratios, et permet de mieux se figurer les différents effets en jeu. La durée espérée de retraite a augmenté plus rapidement que toutes les autres durées entre 2004 et 2010, puis a diminué, tandis que l’espérance de vie (à 20 ans ou à la fin de scolarité) et les durées en activité et en emploi ont augmenté régulièrement sur toute la période – ces dernières plus rapidement que l’espérance de vie du fait de la hausse des taux d’activité.
Notons que la durée espérée de retraite (ou espérance de vie à la retraite) est estimée ici égale à 21,8 ans en 2019, ce qui est plus faible de quelques années par rapport aux valeurs diffusées par la DREES (par exemple 24,8 ans pour la génération 1953). L’écart s’explique pour partie par le fait que les durées espérées de retraite calculées par la DREES par génération tiennent compte des gains d’espérance de vie projetés à l’avenir, tandis que les indicateurs conjoncturels calculés dans cet article ne considèrent que l’espérance de vie du moment. Mais même en neutralisant ces gains projetés, il reste un petit écart : la durée espérée de retraite est de 23,4 ans en 2019 avec les coefficients de mortalité du moment et la méthode de calcul de la DREES.
Cet écart résiduel tient au fait qu’on a ici considéré des espérances de vie à la retraite calculées en début de carrière (en pratique à 20 ans), qui tiennent donc compte du fait que la durée effective de retraite sera nulle pour une partie des assurés, qui décèdent avant l’âge de la retraite. La DREES calcule en revanche des durées espérées de retraite pour des assurés qui atteignent cet âge, en considérant l’espérance de vie à 60 ans. L’écart d’environ un an et demi entre les deux méthodes de calcul tient donc au fait qu’un peu moins d’un assuré sur 10 décède avant de liquider ses droits.
Incidemment, il est possible de construire et estimer un indicateur conjoncturel de la part des assurés qui décèdent avant de liquider leurs droits à retraite – toujours pour une génération fictive qui connaîtrait à tous âges les conditions de mortalité et de retraite de l’année observée. Il nécessite, pour être calculé, de faire l’hypothèse complémentaire que la mortalité est indépendante de l’âge de liquidation (l’indicateur est en revanche sous-estimé si les personnes qui partent le plus tôt à la retraite ont l’espérance de vie la plus élevée, et sur-estimé dans le cas inverse).
La part (conjoncturelle) des assurés qui décèdent avant la retraite est de 9 % en 2020, plus élevée pour les hommes (12 %) que pour les femmes (6 %). Elle a baissé continûment depuis 2004, malgré une inflexion vers 2010.
Le relèvement de l’âge minimal d’ouverture des droits décidé lors de la réforme de 2010 n’aurait ainsi pas diminué la part des assurés qui atteignent l’âge de la retraite, ce relèvement étant compensé par la diminution continue de la mortalité aux âges d’activité.
Quelques références bibliographiques
- Aubert P. et S. Rabaté (2015), « Durée passée en carrière et durée de vie en retraite : quel partage des gains d’espérance de vie ? », Économie et statistique, n°474, pages 69 à 95
- Aubert P. et C. Collin (2017), « Durée de carrière et équité en matière de retraite : quels indicateurs ? quelles interprétations ? », in « La prise en compte de la durée de carrière dans les indicateurs de retraite », Dossier de la DREES, n°21, Octobre, p. 82-104.
- Secrétariat général du Conseil d’orientation des retraites, « Construction d’indicateurs de durée de retraite », document n°12 de la séance du COR de mars 2014
- Extrait relatif à la durée de retraite dans le Rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites de juin 2021.
Précisions méthodologiques
Les durées d’activité, d’emploi ou à la retraite présentées dans cet article sont en réalité des durées espérées, c’est-à-dire des espérances de vie passées dans ces états. Elles sont calculées par la méthode de Sullivan, à partir des taux de retraités à chaque âge estimés par le modèle ANCETRE de la DREES, des taux d’activités et d’emploi au sens du Bureau international du travail (BIT) estimés par l’Insee grâce à l’enquête Emploi, et des coefficients de mortalité à chaque âge tirés du bilan démographique de l’Insee. Le principe est identique à celui du calcul des espérances de vie sans incapacité (EVSI), les prévalences des incapacités à chaque âge étant ici remplacées par les prévalences de l’emploi, l’activité ou la retraite. Le calcul est réalisé avec le logiciel R grâce au package healthexpectancies. Les coefficients de mortalité du bilan démographique de l’Insee ont été intégrés dans ce package, et ce sont donc ces valeurs qu’on a utilisé. De même, les taux de retraités à chaque âge diffusés par la DREES ont été intégrés au package retrstatfr
L’espérance de durée entre la fin des études et le départ à la retraite est calculée à partir de l’écart à chaque âge entre le taux de retraité (considéré égal à 0 avant 50 ans) et le taux de scolarisation (considéré égal à 0 à partir de 30 ans). Les taux de scolarisation calculés par la DEPP ne sont pas facilement téléchargeables en série historique complète ; on a donc utilisé deux tables rediffusées par l’Insee, l’une fournissant les taux à tous les âges mais pas pour toutes les années, l’autre fournissant les taux pour toutes les années mais à certains âges seulement. Les taux manquant ont été extrapolés à partir de ces deux tables. Dans la mesure où on s’intéresse ici principalement à la durée des études, et pas à l’ensemble de la durée de scolarisation y compris aux jeunes âges, on ne retient les taux de scolarisation qu’à partir de 15 ans.
En pratique, toutes les espérances de vie ont été calculées à l’âge de 15 ans, mais avec une table de mortalité modifiée. Par cohérence avec l’exposé des motifs de la réforme des retraites de 2003, qui considère le cas type d’une individu qui commence à travailler à 20 ans, on a annulé la mortalité avant cet âge, afin de considérer ici aussi la situation d’assurés encore en vie à 20 ans. Les coefficients de mortalité ont donc été mis à 0 entre 15 et 19 ans.
La part des personnes d’une génération qui atteint l’âge de la retraite a enfin été calculée en appliquant aux taux de survivant à chaque âge les proportions de nouveaux retraités à chaque âge. Ces dernières ont elles-mêmes été calculées comme l’écart entre le taux de retraité à l’âge A et le taux à l’âge A-1. Le calcul suppose donc que la mortalité est identique pour les nouveaux retraités et pour les autres.